Kirikou et la Sorcière : un conte philosophique

Kirikou est un jeune garçon particulièrement impatient de connaître la vie. Alors même qu'il est encore à naître, il interpelle in utero sa mère pour qu'elle l'enfante sans retard. Celle-ci le prenant au mot l'invite à venir au monde de lui-même, ce qu'il fait illico.

Commence alors pour la mère de Kirikou une valse étourdissante de questions, qui convergent rapidement vers "la" question qui s'avère existentielle pour ce petit village : pourquoi la sorcière Karaba est-elle si méchante ?

En effet, cette femme d'une extrême beauté dispose d'un pouvoir tel qu'elle est soupçonnée d'assécher les sources, de dépouiller les femmes de leurs bijoux, et de dévorer les hommes ; tout ceci grâce à une armée de fétiches, redoutables robots qui n'obéissent qu'à leur maîtresse vénérée.

Mais Kirikou ne se satisfait pas longtemps des réponses fatalistes que lui font sa mère et son entourage. Et il comprend très vite qu'il ne pourra compter que sur lui-même pour résoudre l’énigme qui le taraude sans répit. Il décide donc de rencontrer lui-même la redoutable Karaba, saisissant l'opportunité du combat que va livrer le dernier homme du village, son oncle, en l'accompagnant.

Au cours de cette première rencontre, Kirikou tente d'abuser gentiment la sorcière en lui proposant d'échanger la paix du village contre un chapeau prétendument magique ; la supercherie est cependant rapidement éventée, et la sanction ne tarde pas : nouvelles destructions au village et retour à la case départ ... mais riche d'enseignements : on n'attrape pas plus des mouches avec du vinaigre que l'élite des sorcières avec des ruses à trois centimes.

La résolution de Kirikou est toutefois plus forte que jamais, et sa mère va s'avérer être sa plus précieuse alliée : tout d'abord, en lui faisant encore et toujours confiance ; puis en lui révélant que son grand-père est susceptible de l'aider dans sa quête, mais qu'il habite au-delà de la montagne, dans un endroit dont l'accès est interdit par Karaba ; enfin, en l'accompagnant dans la première étape du voyage qu'il entreprend pour visiter son aïeul, lui permettant de s'approcher au plus près de la zone interdite à l'insu des fétiches de Karaba.

A l'issue de ce voyage sous-terrain puis aérien, mais toujours plein de dangers, Kirikou parvient enfin chez le vénérable et très sage - mais aussi tout simplement paternellement affectueux - grand-père. Et c'est en se lovant dans ses bras qu'il va refaire le plein d'énergie, mais surtout découvrir enfin pourquoi la sorcière est si méchante : elle est méchante à la hauteur de la souffrance qu'elle endure, depuis qu'elle a été suppliciée par des hommes qui lui ont enfoncé une épine au milieu du dos, à un endroit tellement inaccessible qu'elle ne peut l'arracher elle-même. D'autant que cette épine s'avère être également à l'origine de ses pouvoirs surnaturels, auxquels son extraction lui imposerait de renoncer, sans parler d'une souffrance physique encore plus intolérable que le statu quo.

Par contre, l'histoire ne dit pas pourquoi les hommes ont infligé cette torture à Karaba ; on ne peut donc que spéculer à ce sujet, par exemple sur la jalousie des autres femmes face à son excessive beauté, qu'il est bien tentant d'attribuer à de la sorcellerie, ce qui permet de la désigner à la vindicte des hommes. Pure conjecture, mais séduisante lorsqu'on songe que ledit supplice transforme la séductrice en dévoreuse d'hommes : match nul.

Quoi qu'il en soit, la résolution de Kirikou est prise : il va arracher cette épine pour faire cesser les souffrances de Karaba et libérer le village de ses maléfices. Pour ce faire, il doit l'attirer hors de son repaire en lui dérobant ses bijoux qu'il va enterrer à quelques pas de l'arbre fromager. Karaba ne tarde pas à les y rechercher, présentant ainsi son dos au jeune héros qui l'attend caché dans le feuillage au-dessus d'elle. C'est le moment que choisit Kirikou pour fondre sur son dos, et arracher l'épine fatale à la seule force de ses dents.

La douleur est indicible ; toute la forêt retentit du cri déchirant de Karaba.

Mais Karaba ne souffre plus, et la nature autour d'elle reprend vie : les maléfices ont cessé, la sorcière diabolique a disparu, laissant la place à une Femme, divine.

Une autre métamorphose se produit alors : en accordant à Kirikou un baiser de gratitude, Karaba découvre que son pouvoir magique de dévoreuse d'homme s'est transformé en un autre pouvoir encore plus magique de "réalisation" d'homme.

En effet, ce baiser transforme le minuscule Kirikou en un homme superbe, tout de force sereine et de sensibilité subtile.

Le retour au village n'est pas simple pour ce couple tellement improbable : les apparences sont trompeuses, puisque si la métamorphose de Karaba n'est pas visible, celle de Kirikou le rend méconnaissable. Seule sa mère est capable de faire éclater la vérité et de ramener la paix.

Moralités :