Millenium 4 régressif

Mikael Blomkvist doute de sa vie affective partagée avec le mari de son amante

Il aimait Erika depuis des décennies et rien n'indiquait qu'elle ne ressentait pas la même chose pour lui. Mais ce n'était plus aussi simple. Peut-être même que Mikael commençait à avoir trop de sympathie pour Lars. Lars Beckman, le mari d'Erika, était artiste et personne n'aurait pu lui reprocher d'être jaloux ou mesquin. Au contraire, quand Lars avait réalisé qu'Erika n'arriverait jamais à se passer de Mikael, qu'elle serait toujours tentée de le foutre à poil, il n'avait pas fait de scandale ni menacé d'aller s'installer en Chine avec sa femme. Il avait proposé un pacte : "Tu peux être avec lui... à condition de toujours revenir." Et c'est ce qui s'était passé. Ils avaient mis en place une sorte de ménage à trois, un arrangement peu conventionnel aux termes duquel Erika dormait la plupart du temps chez elle, à Salsjöbaden, avec Lars, mais parfois chez Mikael. Pendant des années, Mikael avait trouvé que c'était une excellente solution dont auraient dû s'inspirer davantage ceux qui sont soumis à la dictature du couple. Chaque fois qu'Erika disait : "J'aime encore plus mon mari quand je peux aussi être avec toi", ou que Lars, lors d'un cocktail, lui passait un bras sur l'épaule dans une accolade fraternelle, Mikael remerciait sa bonne étoile.

Ces derniers temps, pourtant, il s'était mis à douter de tout, peut-être parce qu'il avait plus de temps pour réfléchir à sa vie, et il avait compris que ce qu'on appelle un commun accord ne l'est pas forcément.

Il arrive que l'une des parties impose un choix personnel en le faisant passer pour une décision commune. Et au final, le plus souvent, quelqu'un en souffre, quoiqu'il assure du contraire. Et franchement, on ne pouvait pas dire que Lars avait sauté de joie quand Erika l'avait appelé tard la veille au soir. Qui sait, peut-être Lars se retournait-il aussi dans son lit en ce moment.

L'indécrottable romantique à la recherche du grand amour assasiné la femme fatale

A onze ans, Andrei avait perdu ses parents dans une explosion à Sarajevo, après quoi il avait vécu chez une tante à Tentsa, aux abords de Stockholm. Elle n'avait rien compris à ses dispositions intellectuelles ni aux blessures qu'il portait en lui. Andrei n'était pas présent lors de la mort de ses parents, mais son corps réagissait comme s'il souffrait de stress post-traumatique. Aujourd'hui encore, il détestait les sons forts et les mouvements brusques. Il n'aimait pas voir des sacs abandonnés dans les restaurants et les lieux publics, et il détestait la guerre et la violence avec une force qu'Erika n'avait jamais vue chez personne.

Enfant, il s'était réfugié dans son monde. Il se plongeait dans des romans de fantasy, lisait de la poésie, des biographies. Il adorait Sylvia Plath, Borges et Tolkien. Il rêvait d'écrire des romans d'amour et de bouleversantes tragédies. Indécrottable romantique, il attendait la passion qui panserait ses plaies et ne s'intéressait pas à ce qui se passait dans la société ou dans le monde.

[...]

Il restait un éternel romantique, et Mikael et Erika l'avaient bien des fois écouté leur raconter ses déboires amoureux. Les femmes étaient attirées par Andrei, mais elles finissaient toujours par le quitter. Son désir éperdu de vivre une grande histoire, l'intensité de ses émotions les effrayaient sans doute. Et puis il avait tendance à évoquer bien trop ouvertement ses propres défauts et faiblesses. Il était trop ouvert, trop transparent, ou, comme disait Mikael : trop bon.

In "Millenium 4: Ce qui ne me tue pas..." par David Lagercrantz